Échange avec Irina Bokova, ancienne Directrice Exécutive de l’UNESCO (2009-2017)

En tant que promoteur de la diversité culturelle, les représentants de CD4Peace ont assisté le 27 Novembre 2018 à l’événement organisé par le Centre du Droit de l’Art (Prof. Marc-André Renold) à l’Université de Genève. C’était une bonne occasion d’échanger des idées sur différentes questions relatives à la diversité culturelle, ainsi que sur les projets futurs de CD4Peace avec une personnalité importante du monde de la culture : l’ancienne Directrice Exécutive de l’UNESCO (2009-2017), Mme Irina Bokova. Cette conférence nous a permis d’avoir un point de vue interne sur le travail de l’UNESCO, mais aussi d’avoir un aperçu des divers problèmes et critiques auxquels l’organisation est confrontée, ainsi que les divers débats qui y ont lieu. 

Les points principaux du discours de Madame Bokova étaient les suivants:

  • Tout d’abord, lors de ses déplacements en tant que Directrice Exécutive, elle a souvent entendu des critiques relatives à la question de la protection du patrimoine culturel en période de conflit, et de ce que l’UNESCO pouvait réellement faire.Elle a soutenu le fait que l’UNESCO, malgré le fait qu’elle n’ait ni armée ni instrument de sécurité, a élargi sa zone d’intervention en réussissant pour la première fois à inclure la responsabilité de la protection du patrimoine dans une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU relative aux forces de maintien de la paix. En outre, l’UNESCO a contribué à la mise en œuvre d’une formation militaire afin de sensibiliser les soldats à cet aspect important de la paix et de la sécurité. Elle nous a notamment donné l’exemple de Tombouctou, au Mali : de petits passeports ont été remis à chaque soldat pour expliquer l’importance du patrimoine culturel et l’emplacement des différents monuments du patrimoine.

 

  • Deuxièmement, relativement à la multiplication des instruments juridiques protégeant les biens culturels dans de nombreux pays, elle a souligné le rôle joué par l’UNESCO dans la reconnaissance de l’importance de la protection des biens culturels contre le trafic illicite par le Conseil de sécurité des Nations Unies, en particulier lorsque ceux-ci sont utilisés pour financer le terrorisme. Grâce à une résolution apportée par la Russie, l’UNESCO a pu créer une plate-forme d’échange de données et encourager les pays à prendre des mesures, soit pour adopter de nouvelles lois, soit pour harmoniser la législation ou encore créer de nouvelles institutions.

 

Mais elle a également identifié quelques défis:

  • Elle a expliqué que l’un des principaux problèmes du travail de l’UNESCO est que souvent, les populations locales ne sont pas conscientes de la valeur de leur patrimoine. Pour lutter contre ce problème, le principal outil est l’éducation. L’éducation peut aider les populations locales à évaluer et à comprendre l’importance de la diversité culturelle, à la respecter et à la protéger. Par exemple, l’éducation a joué un rôle central en Irak, car les citoyens, en particulier les jeunes, avaient oublié que le pays avait toujours été doté d’une grande diversité, qui méritait d’être protégée. Surtout en ce qui concerne le défi de protéger un patrimoine local qui n’appartient pas à la culture dominante, il est nécessaire de sensibiliser à la nécessité de protéger chaque culture même quand celle-ci n’est pas la leur, car il n’y a pas d’homogénéité quand il s’agit de culture.

 

  • En outre, en ce qui concerne le processus d’intégration d’un monument du patrimoine à la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, Mme Bokova a expliqué que les critères d’éligibilité font l’objet d’un vaste débat. En effet, aujourd’hui, de nombreuses considérations politiques sont en jeu dans ce processus. C’est pourquoi la question de l’intégrité et de l’avenir de la Convention se posent de plus en plus. Elle a en effet été témoin de ce changement au sein du Comité, car maintenant les ambassadeurs et les politiciens effacent de plus en plus la place des experts.

 

  • Pour finir, relativement à la récente décision du Président français Emmanuel Macron de renvoyer 26 œuvres d’art au Bénin, un acte de reconnaissance des jours sombres du colonialisme français en Afrique, elle a souligné le flou régnant sur des limites du processus de restitution. En effet, même si elle pense que nous devons parler davantage de l’immoralité du vol et de l’appropriation illégale de biens artistiques, et même si le processus de restitution va dans la bonne direction, nous devons réfléchir aux limites de ce processus. Par exemple, grâce aux nouvelles technologies, de nouveaux domaines, tels que les objets sous-aquatiques, sont désormais accessibles, mais cela suscite de nouveaux débats et de nouveaux défis.